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Thierry Noir dans son atelier de Kreuzberg

 

Thierry Noir est l’artiste qui a peint la plus grande partie du mur de Berlin. Il est français et il vit depuis 30 ans dans la capitale allemande. Il nous ouvre les portes de son atelier de Kreuzberg et nous raconte sa vie de Français à Berlin, sa relation à la ville et son sentiment d’être avant tout un citoyen européen.

Pourquoi êtes-vous venu à Berlin ? Je suis arrivé à Berlin plus ou moins par nécessité parce que je n’arrivais pas à faire ma vie en France. Je me faisais virer de tous mes petits boulots. Au début c’était drôle mais ensuite je me suis dit qu’il fallait que je change quelque chose car cela ne pouvait pas durer. A la télévision on entendait beaucoup parler de Berlin car le maire de l’époque Richard von Weizsäcker voulait fermer tous les squats, c’était une période très violente. J’étais aussi attirée par des groupes de la neue deutsche Welle comme Bijoux, Starsshooter, et les grands comme David Bowie et Iggy Pop. Je suis parti avec mes 2 petites valises. C’était d’ailleurs un 22 janvier, jour anniversaire du traité de l’Elysée. Je n’avais pas de billet retour alors je suis resté. Il y avait plein de gens comme moi, qui étaient arrivés là car ils ne savaient pas où aller.

Quand vous êtes arrivé à Berlin en 1982, il n’y avait que des artistes autour de vous. 30 ans après, Berlin est-elle toujours la capitale de l’art ? Je crois que la plupart des artistes de l’époque sont restés artistes. C’est ça le plus beau de l’histoire, c’était un mouvement assez fort qui a permis aux gens de vivre de leur art et maintenant, 30 ans plus tard, de continuer à en vivre, comme moi justement. C’est ça le secret de la réussite, continuer ce qu’on fait pendant des années. Cela a changé un peu dans le sens ou Berlin n’est désormais plus une île. Mais le milieu artistique est quand même resté un peu le même, seules les générations ont changé. L’esprit de Berlin est resté intacte : avec rien on peut tout faire. Je crois que c’est cela le message de Berlin. Même si vous n’avez pas de talent ou pas d’argent, vous pouvez faire plein de choses, rien n’est interdit.

P1010267Vous voulez dire que c’est le contexte historique qui a fait de vous des artistes ? A l’époque, tout le monde était artiste. C’était une façon de survivre à cette mélancolie de la ville entourée de murs. Et ce mouvement était assez fort pour être toujours présent aujourd’hui.

Avez-vous vous-même bénéficié de ce contexte historique en tant qu’artiste ? Oui bien sûr. Je ne suis pas venu à Berlin pour être artiste, ça s’est fait comme ça. J’ai remarqué que tout le monde voulait être artiste et moi je ne voulais pas être l’idiot du village, alors j’ai dit que moi aussi j’étais artiste. Voilà, c’est comme ça que j’ai commencé à faire toutes sortes de choses pour montrer aux autres et à moi-même que j’étais un artiste, car en France, je n’avais jamais rien fait. Ça s’est fait plus ou moins par hasard. Comme j’habitais juste devant le mur, je le voyais jour et nuit. Il m’angoissait. Ce n’était pas une œuvre d’art ce mur. Quand on allait aux toilettes, par la fenêtre on voyait les soldats qui nous regardait avec les jumelles. Alors pour me délivrer de cette angoisse, j’ai commencé à peindre le mur. C’est arrivé comme ça, mais je n’étais pas venu à Berlin dans le but peindre le mur.

Vous êtes-vous senti légitime en tant que français de vous attaquer à un symbole aussi fort que le mur de Berlin ? Oui car le mur était un tabou pour les Allemands. La plupart des Berlinois ne venaient jamais voir le mur ou alors une fois par an avec la famille pour leur montrer. Les artistes allemands n’ont jamais voulu peindre le mur non plus. Alors nous avons été les premiers à oser réaliser ces grandes fresques. Au début cela choquait, les gens nous agressaient, tout le monde voulait savoir qui finançait cela, qui étaient les gens derrière nous, qui nous manipulaient.

P1010262Pourquoi ne pas être reparti après la chute du mur ? N’aviez-vous pas le sentiment que la mission était accomplie ? Je n’ai pas eu le temps de me poser ces questions car tout le monde s’est rué sur moi. J’ai fait beaucoup d’interviews, les gens voulaient avoir mes peintures. Et puis j’ai peint une Trabant pour le groupe U2.

Berlin a-t-elle changé votre vie ? Berlin a changé ma vie car je pouvais vivre de mon travail, sans avoir un chef qui me dise quoi faire. Et ça c’était mon rêve. C’est la première raison pour laquelle je suis resté à Berlin d’ailleurs. Et puis ensuite j’ai fondé une famille alors c’était compliqué de partir. Je ne crois pas que je pourrais retourner en France non plus. Je me sens un peu étranger dans les deux pays, c’est assez bizarre.

C’est quoi la France pour vous aujourd’hui ? La France, ça restera toujours mon pays. J’ai toujours le passeport français, j’écoute la radio, je regarde la télévision. Ça me change un peu de ma vie à Berlin.

Vous pensez qu’il n’y avait pas de place pour votre art en France ? Sûrement. Si j’étais resté en France, je n’aurais jamais fait un tableau de ma vie, c’est évident. Lyon était à l’époque assez conservatrice, assez bourgeoise, tout tournait autour de la gastronomie. Les gens y passaient juste pour aller dans le sud, c’est tout.

C’est quoi l’Allemagne pour vous aujourd’hui ? L’Allemagne c’est le pays où j’habite.

Que vous évoquent les images de Hollande et de Merkel à l’occasion du traité de l’Elysée ? Je n’ai pas suivi tout cela. Ce sont juste deux personnes qui changent régulièrement. Avant c’est Chirac et Schröder, Mitterrand et Kohl. Pour moi les pays sont beaucoup plus forts que les politiques.

P1010290Etes-vous allemand ou français ? Moi je suis européen. Aujourd’hui, c’est l’Europe est mon pays. Je peux aller dans tous les pays d’Europe sans problème, je m’y sens chez moi. Je ne suis pas un expatrié.

Si vous faisiez une peinture de l’amitié franco-allemande, ça serait quoi ? Je pendrais deux grosses têtes qui se regardent, une avec les couleurs françaises et une avec les couleurs allemandes, sur le mur de la frontière, au bord du Rhin.

Avez-vous pu rencontrer David Bowie finalement ? Une fois, par hasard. C’était au Dschungel dans les années 80. Il est assez petit David Bowie en fait. Il allait aux toilettes avec deux énormes gardes-du-corps qui faisaient 2 mètres sur 1 mètre de large. Et je me suis dit « si c’est ça d’être célèbre, on ne peut même plus aller tout seul aux toilettes ». Ça m’avait vraiment choqué de voir David Bowie comme ça.

Propos recueillis par Stefan Küpper et Marie Perrin.