Retrouvez les derniers sondages sur les onze candidats sur Opinionlab

A seulement trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle, les candidats des deux grands partis du gouvernement sont à la traîne dans les sondages, devancés par le Front National et le mouvement En Marche ! Analyse d’une grande première dans la politique française.

« En France, les deux partis traditionnels totalisent actuellement seulement 30% de l’électorat», constate Dominique Reynié, politologue à Sciences Po Paris et directeur général de la fondation pour l’innovation politique (Fondapol). Comme on observe cette tendance aussi dans d’autres pays européens, on peut se demander s’il s’agit d’un rejet des partis traditionnels. « Les grands partis n’ont pas eu le courage d’écouter la population, ils en sont déconnectés », poursuit-il. Les Républicains et le Parti socialiste devraient se demander si leur fonctionnement actuel correspond encore à la manière dont les Français veulent participer à la démocratie. Le succès d’Emmanuel Macron dans les sondages montre qu’on n’a plus forcément besoin d’un grand parti pour être candidat à l’élection présidentielle.

A droite, la chute de François Fillon dans les sondages est avant tout liée à « l’affaire Penelope », la révélation de l’emploi fictif de sa femme. L’image du candidat qui incarnait le modèle d’honnêteté a été fortement abîmée par sa mise en examen. Avant la révélation de l’affaire par Le Canard Enchaîné, François Fillon avait un boulevard devant lui et était pressenti comme le futur président de la République. Pour la gauche, il est difficile de déterminer à quel point le mauvais bilan de François Hollande est responsable du rejet de Benoît Hamon, d’autant plus que le candidat du PS fait campagne en prenant ses distances par rapport au bilan d’Hollande.

Thomas Guénolé, politologue à Sciences Po Paris, différencie clairement la situation des deux partis. Il parle d’une « situation conjoncturelle » pour les Républicains liée aux affaires de Fillon. « Si le parti change son candidat, il peut retrouver sa base stable de 25 % », affirme-t-il convaincu. En revanche, à gauche, le politologue constate une « crise structurelle qui se manifeste par une division idéologique, notamment par rapport à des sujets socio-économiques ».

Réinvention obligée pour le PS
« Si le parti socialiste veut continuer à être une force majeure dans la vie politique française, il n’aura pas d’autre choix que de se réinventer au lendemain de ces élections, quelqu’en soit le résultat », constate Corinne Narassiguin, porte-parole du PS, en affichant une certaine lucidité. Néanmoins les socialistes continuent à croire à la nécessité d’avoir des partis politiques pour structurer la vie politique et la construction idéologique. Les Français souhaitent « une démocratie beaucoup plus participative au quotidien et peut-être moins pyramidale », avoue Corinne Narassiguin.

Complotisme à droite
La droite nie au contraire la possibilité d’un échec de leur candidat à l’élection présidentielle. Le président et les deux vice-présidents des « Jeunes avec Fillon » croient vigoureusement au futur président François Fillon. A aucun moment, ils ne doutaient de leur candidat. « Ce n’est pas le parti qui a proposé le projet, c’est vraiment l’homme, François Fillon, qui le porte » expliquent-ils en choeur. D’ailleurs, le parti n’a pas ressenti la nécessité de changer sa stratégie de campagne après la révélation de l’affaire Penelope. Chez les Fillonistes, on est convaincu qu’il s’agit d’un complot : « cela vient de très haut » et « au syndicat de la magistrature, les juges sont majoritairement de gauche, ils ont un dossier sur chaque candidat ». Ici, les ennuis judiciaires sont vus comme l’épreuve du feu que le futur Président doit surmonter pour prouver sa capacité à diriger la République. Une possible division idéologique est rejetée catégoriquement. Une source proche des Républicains pense que si Fillon perdait à la présidentielle cela serait « l’explosion du parti », accompagnée d’une avalanche de critiques pour s’être accrochés à un candidat mis en examen. Dans ce cas-là, les jeunes comme Laurent Wauquiez, premier vice-président des Républicains, reprendraient probablement le parti.

Faiblesse des partis du gouvernement et talent de Macron
Le politologue Dominique Reynié, qui a été candidat républicain aux élections régionales de 2015, constate de son côté une crise plus globale des partis du gouvernement. Il décrit le système politique en France comme « un système fermé qui commence à craquer ». « Le succès de Macron, c’est à la fois le signe de son talent, mais aussi un signe extraordinaire de la faiblesse des partis du gouvernement », explique-t-il. Il voit les partis traditionnels menacés dans leur existence et prédit une probable baisse de leur influence pour 2017.

Celui qui profite le plus de la faible intention de vote pour les grands partis est Emmanuel Macron, le jeune leader du mouvement En Marche ! « ni de droite, ni de gauche ». Son mouvement lancé en avril 2016, compte aujourd’hui plus que 230 000 adhérents. Pour devenir marcheur, il suffit de s’inscrire en ligne, contrairement aux grands partis qui demandent des frais d’adhésion. Ses militants – comme Nadège Guillard – voient en Emmanuel Macron un potentiel pour renouveler un système politique enlisé, pour changer considérablement la société française grâce à un mouvement populaire. Ceux qui le critiquent pointent du doigt le programme flou du candidat Emmanuel Macron tout en reconnaissant le fait qu’il est peut-être le seul à pouvoir faire barrage à l’extrême-droite.

Nadège Guillard, 34 ans, est née au Cameroun et vit en France depuis l’âge de 4 ans. Créatrice de sacs en cuir, comme auto-entrepreneuse, elle habite avec sa famille à Noisy-le-Sec, en banlieue parisienne. Mère de trois enfants (14, 6 et 2 ans), elle est très sensible aux questions autour de l’éducation.

 

« Même si Emmanuel Macron remporte la présidentielle, ce sera difficile pour lui d’avoir une majorité aux législatives en juin », objecte Dominique Reynié. En Marche ! veut compter sur une éventuelle dynamique à l’issue de l’élection présidentielle si Emmanuel Macron sort vainqueur. « Cette dynamique s’est souvent avérée vraie », constate Dominique Reynié, « mais il ne faut pas oublier que les autres ont un parti derrière eux. »

Le soutien du parti pour faire campagne
Le résultat d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle montrera si les candidats ont encore besoin du soutien d’un parti établi ou pas. Corinne Narassiguin du PS avance les trois avantages majeurs dont profite Benoît Hamon en ayant la structure d’un grand parti derrière lui : sa campagne électorale est financée par l’argent public ; le candidat profite d’une forte implantation locale car des milliers de militants font vivre sa campagne sur le terrain ; le PS ne dépend pas d’un seul leader charismatique, même si on remplace le candidat, les gens savent toujours ce qui représente le PS grâce à son histoire et ses valeurs établies.
Tout pronostic concernant le résultat de l’élection présidentielle est donc hasardeux car on n’a jamais assisté à une campagne électorale avec autant de rebondissements dans l’histoire de la Ve République. Les grands partis qui ont gouverné le pays ces dernières décennies seront confrontés à un éventuel bouleversement de l’échiquier politique..

Photo: CC-by-manhhai