10 février 2017, la Ville de Paris fait installer de gros blocs de béton sur un terre-plein où des migrants dressent leurs tentes pour lutter contre les campements.
Les moyens étatiques ne devraient-ils pas être employés à des fins plus utiles ?
On peut en tout cas se demander parfois si les politiques ont bien les pieds sur terre.

« L’autre jour, Jean-Marc Ayrault est venu en grande pompe visiter le centre, un jour où ça puait sous la bulle. En effet parfois ça sent la chaussette… Quand il est sorti, il n’avait pas l’air vaillant, il titubait presque. Je me suis dit que c’était une bonne chose qu’il ait été confronté à ça ».

Anne, bénévole pour Emmaüs Solidarité, raconte, le sourire aux lèvres, la difficile confrontation du ministre des Affaires étrangères avec la réalité d’un camp de migrants. Comme elle, les bénévoles sont nombreux à penser que les hommes et femmes politiques français n’ont pas conscience de la situation des migrants en France et que les réponses étatiques sont insuffisantes.

Si l’on se penche sur les programmes des candidats à la présidentielle, aucun d’entre eux n’a d’ailleurs placé cette question au cœur de son programme, quand les candidats n’ont pas carrément fait le choix d’une politique anti-immigration ou de restriction de celle-ci.

Il y a de quoi être destabilisé quand l’on sait qu’une enquête IFOP réalisée en septembre dernier a révélé que pour 50% des Français la question des migrants allait « beaucoup compter » dans leur choix électoral pour l’élection présidentielle. Sérieusement déboussolé même, quand on se rend sur le terrain pour constater la réalité.

Au centre humanitaire Paris-Nord, la présence de l’Etat réduite à… un photomaton

Le centre humanitaire Paris-Nord a ouvert le 10 novembre 2016 sur le boulevard Ney, porte de la Chapelle

Difficile de louper le centre humanitaire Paris-Nord lorsque l’on sort du métro à la station Porte de la Chapelle. Le regard est directement attiré par son étonnante bulle jaune et blanche sous laquelle sont accueillis et informés les migrants qui arrivent à Paris. De nombreux migrants, l’air hagard, les traits tirés après des semaines ou des mois de périple, forment déjà une queue à l’entrée de la bulle. Tous espèrent pouvoir dormir quelques jours – 5 à 10 jours en moyenne – dans l’un des 400 lits des baraques en bois disposées en « villages » sous une grande halle désaffectée.

En tout, ce ne sont pas moins de 800 salariés et 40 bénévoles de l’association Emmaüs solidarité qui s’appliquent à faire fonctionner le centre depuis son ouverture. Ils essaient d’accueillir dans la dignité les migrants, le temps qu’ils soient répartis dans des centres d’accueil et d’orientation (CAO) en province ou des centre d’hébergement d’urgence (CHU) dans la région parisienne. Ou, plus rare, le temps de se reposer avant de repartir vers une autre destination. Les femmes seules et les familles, elles, sont directement redirigées vers le nouveau centre d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), ouvert en janvier dernier.

L’Etat et la ville de Paris ont financé l’installation du centre, respectivement à hauteur de 1,3 et 6,6 millions d’euros, et se sont engagés à couvrir les frais de fonctionnement annuels. Mais dans le centre, on ne trouve pas trace de l’Etat. Seul un photomaton, installé à l’entrée de la halle, vient rappeler aux migrants qu’ils sont avant tout ici pour déposer leur demande d’asile et remettre leur sort entre les mains de l’Etat français.

Ces demandes d’asile, les migrants doivent aller les déposer à la préfecture de police, accompagnés par des salariés ou des bénévoles d’Emmaüs Solidarité pendant leur séjour dans le centre. Pourquoi n’y a-t-il pas d’agents de la préfecture présents sur le centre, ce qui faciliterait de manière évidente la procédure ? Sur place, on s’interroge.

Pendant 6 mois, Clément a donné des cours de français a des migrants et servi d’interprète dans une association d’aide juridictionnelle

A la préfecture, à en croire Clément, un étudiant normalien, les informations que les migrants reçoivent sur leurs droits leur sont données « rapidement, les gens ne sont pas toujours agréables et il y a beaucoup de monde ». Pendant 6 mois, il a servi d’interprète en arabe dans une des nombreuses association d’aide juridictionnelle qui ont dû être créées pour compléter ces informations.

Des migrants à la rue, faute de place

Anne est bénévole pour Emmaüs Solidarité depuis 4 mois

On retrouve Anne, notre comédienne de 45 ans, blonde au regard bienveillant, animée par l’envie de faire sourire et « pétiller les yeux » des migrants. Elle fait partie des bénévoles qui viennent régulièrement aider les salariés d’Emmaüs solidarité. Aujourd’hui et comme pendant trois heures, trois fois par semaine, elle tient son poste à la laverie. Les migrants qui arrivent lui donnent leurs vêtements sales et se voient remettre de nouveaux vêtement propres ainsi qu’un kit d’hygiène contenant entre autre une brosse à dents, du dentifrice et de quoi se raser.

Interrogée sur les difficultés auxquelles elle a dû faire face depuis qu’elle est bénévole, Anne revient sur l’hiver qui vient de s’achever. « Quand vraiment c’était dangereux de dormir dans la rue, il y avait des forces de l’ordre qui étaient tout le temps dehors parce qu’ils se montaient dessus, ils essayaient d’escalader les grillages. On les comprend mais on ne peut pas tous les faire rentrer et ça c’est dur ».

Avec sa capacité de 400 places, le centre humanitaire Paris-Nord ne peut pas accueillir tous les migrants. Ainsi chaque jour, 150 personnes environ ne peuvent bénéficier que d’un simple accueil de jour. Le soir venu, les plus chanceux trouvent un toit grâce au réseau d’associations qui proposent des solutions d’hébergement d’urgence, mais pour d’autres, c’est la rue qui les attend. On comprend mieux le sentiment d’impuissance d’Anne.

L’éducation sacrifiée par l’Etat  

Louise est la secrétaire générale de l’association InFLÉchir depuis sa création en 2016.

L’accueil des migrants en France ne peut pas se limiter à leur hébergement. Comme le souligne Louise, la très jeune secrétaire générale de l’association inFLÉchir, « si on veut mener une politique d’accueil des migrants efficace, la question de l’apprentissage du français est un point central. Comment s’insérer dans une société dont on ne parle pas la langue ? ».

 

Grandes salles lumineuses, petits effectifs, souvent deux professeurs pour moins de dix élèves, au centre universitaire Clignancourt du 18ème arrondissement de Paris, les cours de français sont donnés dans des conditions optimales.

Pour les six élèves d’Alice et Marie, la leçon du jour porte sur les différentes saisons. Quand Alice les interroge sur la saison en cours, Bachir, un Soudanais de 25 ans, installé au premier rang, donne la réponse d’un ton hésitant, dans un français approximatif, tandis que certains de ses voisins semblent encore s’interroger sur la question posée. En arrivant en France, ces élèves ne savaient ni lire ni écrire l’alphabet latin.

Un étage plus bas, autre niveau, autre ambiance. Marion explique de sa voix douce à ses neuf élèves comment rédiger une lettre de motivation. Les élèves répondent volontiers à ses questions, l’un d’entre eux a même fait ses devoirs en avance. Et lorsque Marion leur demande d’imaginer le nom du destinataire de la lettre, un Afghan assis au second rang, propose en riant de le nommer « Jean Dupont », déclenchant l’hilarité générale. Eux s’appellent Ahmad, Aya ou Mustapha. Dans leur pays d’origine – le Soudan, l’Erythrée ou l’Afghanistan pour la plupart – ils ont fait des études, parfois brillantes. Mais, pour des raisons diverses, ils ont dû quitter leur pays, et se retrouvent contraints à tout recommencer à zéro en France.

Heureusement, des associations comme InFLÉchir, créée l’année dernière par des étudiants de Paris IV et qui propose à tous les migrants qui le souhaitent, peu importe leur niveau, huit heures de cours de français quatre fois par semaine, se sont développées partout en France pour prendre, une fois de plus, le relais sur l’Etat.