L’entrepreneuriat a le vent en poupe. De plus en plus de jeunes lancent aujourd’hui leurs start-up en parallèle de leurs études. Les universités et écoles supérieures commencent à prendre le pli et l’accompagnement de cette nouvelle génération d’entrepreneurs se développe. Au point de se substituer, à terme, aux enseignements, crédits universitaires et diplômes qui nous sont si chers ?
Le Square, l’université. L’université, le Square. Camille Desclée et Gabrielle de Valmont multiplient les allers-retours entre cet espace de coworking du 11ème arrondissement de Paris et les bancs de leur fac. Camille suit un master « Entrepreneuriat et Projets innovants », Gabrielle a opté pour la filière « Business Transformation ». C’est à l’université qu’elles se sont connues et que leur est venue l’idée de Nap&Up, leur start-up lancée en décembre 2016. Le concept ? « Démocratiser la pratique de la micro-sieste en entreprise, promouvoir la déconnexion sur le lieu de travail ».
Pour concilier études et entrepreneuriat, elle ont dû s’arranger avec leur université. Camille est aujourd’hui en apprentissage chez Nap&Up, elle alterne semaines de cours et périodes en entreprise. Gabrielle, quant à elle, consacre son stage de fin d’études à la start-up. « C’est nous qui avons été à l’initiative de notre propre parcours, explique Camille. C’est en négociant que ça a été rendu possible. J’étais la première à faire ça dans mon master ». Toutes deux s’accordent à dire que les débuts ont été compliqués. « On devait gérer l’activité de Nap&Up et notre équipe, alors qu’on avait cours tous les jours. On menait deux vies en parallèle, on était à la limite du burn out. Ce n’est pas encore un parcours normal de monter ta boîte au milieu de tes études. Heureusement, de plus en plus de choses sont faites pour valoriser l’entrepreneuriat. »
Apprendre à entreprendre, entreprendre pour apprendre
Les établissements d’enseignement supérieur prennent aujourd’hui davantage en compte la volonté d’entreprendre de leurs étudiants. Selon une étude réalisée par la Conférence des grandes écoles (CGE) et publiée en avril 2017, 65 % des établissements supérieurs sondés disposent désormais d’un incubateur. Et ces établissements impliqués dans l’accompagnement de l’entrepreneuriat couvrent désormais l’ensemble du territoire national.
On ne se contente plus d’apprendre à entreprendre, désormais on peut aussi entreprendre pour apprendre. De nombreux établissements – écoles de commerce mais aussi universités – ont intégré cette dynamique. L’université Paris-Dauphine propose désormais aux bacheliers ayant un projet entrepreneurial de bénéficier d’un emploi du temps aménagé. Ce « Parcours Talent » leur permet de conjuguer plus facilement études et entrepreneuriat dès la première année de licence. L’Université a également ouvert en 2015 les portes de son incubateur à l’ensemble de ses étudiants. Pour Estelle Basquin, responsable de l’incubateur Paris-Dauphine, « l’idée est de permettre à l’étudiant qui a envie d’entreprendre, qui a une idée un peu réfléchie ou déjà avancée, de bénéficier d’un encadrement, de supports et de clés pour concrétiser son projet ». Un investissement tout à fait personnel qui, s’il est encadré, ne permet pas encore aux étudiants d’obtenir des notes ou de valider des crédits universitaires. Cette situation, Estelle Basquin souhaite la voir évoluer d’ici un ou deux ans dans son établissement. « Nous travaillons en ce sens, mais cela prend du temps. » Prochaine étape donc : faire en sorte que les projets entrepreneuriaux deviennent partie intégrante des formations étudiantes.
D’autres structures s’attachent à promouvoir l’entrepreneuriat étudiant. À Paris, la Maison des Initiatives Étudiantes (MIE) met gratuitement à disposition de tout jeune entrepreneur ses équipements : espaces de coworking, studios télé ou d’enregistrements, salles et logiciels de montage, etc. La MIE oeuvre également à sensibiliser le grand public aux questions entrepreneuriales. Elle intervient dans les universités afin de promouvoir la collaboration entre étudiants et start-up et a mis en place deux programmes visant à faire émerger des projets entrepreneuriaux. Amélie Akpa, chargée d’entrepreneuriat-étudiant à la MIE, côtoie ces jeunes entrepreneurs au quotidien : « Ce serait malheureux qu’on ne leur donne pas la chance de croire en leurs projets, d’être entendus, de tester. On apprend aussi en s’insérant dans le monde professionnel. »
En 2014, l’Éducation Nationale s’en mêle. Incubateurs, parcours dédiés et appels à projets bénéficient alors de la mise en place par le ministère d’un statut étudiant-entrepreneur, « une première mondiale ». Ce statut confère aux étudiants et diplômés de nombreux avantages et droits facilitant le développement de leurs projets. Pour Amélie Akpa, l’intérêt du statut étudiant-entrepreneur réside notamment dans le fait qu’il permette « de décomplexer, de mettre de côté certaines angoisses liées à l’entrepreneuriat, de se lancer sans prendre trop de risque et de se dire, tout simplement, c’est le moment, je tente ».
Encore quelques portes à pousser
Si l’entrepreneuriat étudiant suscite un engouement fort et voit apparaître de nombreux programmes qui lui sont dédiés, il ne convient pas à tous les profils. « L’idée ce n’est pas de leur dire à tous qu’il faut qu’ils montent des boîtes et que c’est la seule voie pour réussir, rappelle Estelle Basquin de l’incubateur Paris-Dauphine. Bien au contraire. Aujourd’hui c’est un peu la mode, c’est un sujet dont on parle beaucoup là où 100% des étudiants n’ont pas forcément envie de travailler dans des start-up. Et le message que l’on veut aussi leur faire passer c’est que ce n’est pas fait pour tout le monde. » Une formule reprise par Gabrielle et Camille, qui estiment elles aussi peu envisageable que la création d’une start-up puisse, à long terme, faire office d’unique formation. « La start-up a été un excellent apprentissage pour nous, mais elle ne sera pas l’école de demain, parce que l’on ne peut pas imposer à n’importe quel étudiant de se former au sein d’une start-up ».
De même, aucune chance pour que l’entrepreneuriat, aussi florissant soit-il, fasse office de diplôme. Camille concède qu’après quatre ans d’études, avoir le tampon de l’université lui semblait indispensable. « Vis-à vis de nos parents qui financent nos études – mais aussi pour nous-mêmes – on voulait aller jusqu’au bout. » Et Gabrielle d’ajouter : « Lorsqu’on s’est posé la question de savoir si l’on devait continuer nos études, Nap&Up ne faisait pas encore beaucoup de chiffre. Notre chance c’est qu’on n’a pas eu à laisser tomber notre projet pour continuer à étudier. »
Rares sont les étudiants qui mettent un terme à leur formation avant d’être diplômés. Estelle Basquin, responsable de l’incubateur de l’Université Paris-Dauphine, insiste sur ce point. Camille et Gabrielle également. « Pourquoi pas, un jour, se passer de diplômes très formels et valoriser plutôt des acquis, des stages, un parcours riche » suggère Camille. Gabrielle acquiesce. « Notre génération sait que la qualité d’un étudiant ne dépend pas que de ce qu’il a appris à l’école. Malheureusement les recruteurs, surtout en France, prennent encore essentiellement en compte les diplômes obtenus ». Ce que pointe aussi du doigt Estelle Basquin. Elle prône une formation des étudiants visant à les faire réfléchir différemment et à être un peu moins dans des approches théoriques. « Ce qui est difficile puisqu’on est tous habitués à travailler en vue de notes et surtout de diplômes. »
Si la start-up n’a pas pris le pas sur l’université, il est, toutefois, possible désormais de créer, de se lancer avant même d’être diplômé. « Tout cela avance, assure Estelle Basquin. Mais sur le plan académique, il y a encore quelques portes à pousser, afin que des cas comme celui de Gabrielle et Camille ne soient plus une exception ».
Stage à valider, mémoire à rendre : dernière ligne droite pour les deux jeunes entrepreneuses dont le parcours universitaire touche à sa fin. Toutes deux pourront enfin dans quelques mois se consacrer pleinement à Nap&Up, avec en poche diplôme et start-up.